~ 033 ~

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*

 

Quelques heures plus tard, en milieu d’après-midi et dans les locaux d’Universal Music, Raphaël Bauer téléphone nerveusement chez lui. Stressé, il prie pour que quelqu’un réponde.

Par chance, son aîné décroche rapidement le fixe du salon.

— Ouais, allô ? 

— Merci, mon dieu, il y a quelqu’un ! souffle l’ingénieur du son d’un air soulagé. Jo, tu vas me rendre un petit service.

— J’allais ressortir, là.

— Cours dans notre chambre, ordonne Raphaël sans même se préoccuper du fait que son fils ait décliné sa demande. Tu trouveras une clef USB sur la commode de l’entrée. Ramène-la-moi au bureau le plus vite possible. Ce sont les maquettes des Fallout Static et j’en ai besoin immédiatement. La voiture de ta mère est dans le garage.

— Je ne suis pas Fedex. Viens les chercher toi-même.

— Je ne peux pas ! Putain, si je pouvais me déplacer, crois-moi que je le ferais ! Mais, je ne peux vraiment pas, là, je dois courir au studio d’enregistrement, puis j’ai une réunion juste après que je ne peux louper sous aucun prétexte, je suis coincé. Alors, s’il te plaît, sois le meilleur fils que tu es censé être et ramène-moi cette clef immédiatement ! Tu iras jouer avec tes amis plus tard.

Joakim raccroche vivement au nez de son père, énervé, avant de se dépêcher de foncer récupérer l’objet demandé. Il file ensuite vers le garage pour sauter dans la voiture de sa mère.

 

*

 

Sitôt arrivé devant l’enceinte de l’immeuble qui héberge le siège social d’Universal Music, en plein cœur du Downtown de Los Angeles, le lycéen réalise très vite que quelques personnes bloquent l’accès aux parkings souterrains.

Ils ont l’air de manifester avec énergie — au vu des pancartes que certains tiennent sous le bras — et lui ordonnent par des gestes de main de faire un détour, de repartir d’où il vient. Joakim s’agace en conséquence en cherchant une place où garer son véhicule, avant de se presser vers les fameux bureaux, devant lesquels une foule commence à se rassembler. L’un des émeutiers lui tapote sur l’épaule pour lui conseiller de décamper, qu’il ne peut pas pénétrer dans l’entreprise musicale, sur un ton plutôt autoritaire.

Le jeune Bauer dévisage avec mépris le barbu négligé qui ose lui dire à lui de dégager d’ici. Serrant les poings au fond de ses poches, il se retient toutefois d’envoyer deux ou trois insultes à ce mécréant et préfère mettre de l’eau dans son vin en lui souriant poliment.

— Ne vous inquiétez pas, je ne fais que passer. Sinon, pourquoi cette manif ?

Un autre protestataire entend sa question et lui répond à la place de son premier interlocuteur, en brandissant une pancarte en l’air.

— Ces connards vont regretter aujourd’hui leurs nombreux licenciements !

La foule qui se densifie hurle immédiatement en reprenant sa phrase.

L’air de rien et en discutant avec les émeutiers déchaînés, Joakim se rapproche de l’arrière du bâtiment, quand l’un d’eux lui crie, d’une voix ferme et autoritaire, de dégager ! Que bientôt, la situation deviendra incontrôlable et dangereuse ! « Que les enfants n’ont pas à trainer dans le coin ! » Il lui attrape vigoureusement le bras pour le ramener vers lui ; alors qu’il doit passer par là pour rejoindre les ascenseurs du personnel, dont il possède la clef grâce aux doubles de son père.

— Ne me touchez pas, prévient le jeune Bauer, ulcéré par l’homme qui a osé lui adresser la parole. 

Celui-ci lui rend son air mauvais et le jette au milieu de la foule désormais très agitée. Tant bien que mal, il se fraye un chemin vers l’endroit désiré en cognant un type alcoolisé qui tentait de le bloquer dans la masse. Une fois sa destination atteinte, il doit assommer un nouvel agresseur qui comprend qu’il a un accès aux parties privées. Il se précipite ensuite à l’intérieur et referme derrière lui d’un geste vif, avant de s’engouffrer dans l’élévateur jusqu’à l’avant-dernier étage.

Alors qu’il pose enfin un pied sur le palier des locaux de l’entreprise, un employé l’attrape soudain et lui demande de s’identifier. N’appréciant pas cette audace, il se prépare à lui envoyer une réplique cinglante, mais son paternel arrive à grandes enjambées.

— Laisse ! C’est mon fils !

— Oh, excuse-moi. J’ai cru que l’un de ces crétins avait réussi à se ramener.

— Une manifestation commence en bas, informe Raphaël en direction de son rejeton.

Son confrère retourne dans les bureaux d’un pas rapide, tandis que lui ajoute à sa progéniture, l’air inquiet :

— Il paraît qu’ils sont déchaînés ! Comment as-tu fait pour passer ? J’allais t’appeler pour te dire de ne pas venir, mais Dieu soit loué, tu vas bien.

— Ouais ouais, bon, voilà ta clef, soupire Joakim en donnant à son interlocuteur l’objet en question. Je rentre, maintenant.

— Pas maintenant, désolé, lui refuse fermement celui-ci en l’attrapant par le bras pour le retenir. On repartira ensemble, quand tout sera redevenu normal. Ça ne devrait plus tarder, la police va bientôt arriver pour les calmer. Mais, en attendant, on reste ici. Tu as qu’à te poser dans le petit salon, il y a des boissons, des cookies ainsi que des magazines.

— Tu délires ? Je ne reste pas ici, moi, j’ai pas que ça à foutre.

— Je suis ton père et je décide, s’agace Raphaël dans une tentative d’autorité, alors maintenant tu vas derrière et tu t’installes sagement ! Et tu te tiens à carreau, en plus ! On est sur mon lieu de travail, ici.

Son fils bouillonne, mais se retient de faire un scandale. Il le lui paiera cependant…

~ 032 ~

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Le jour suivant, pendant un intercours, Trisha craque et essaie d’approcher celui qui hante ses pensées et qui ne lui a pas jeté le moindre regard de la matinée. Elle croit en ses charmes…

Pleine de bonne volonté, elle prend son courage à deux mains et s’avance tranquillement vers lui alors qu’elle le constate assis, seul, dans leur salle de classe. Il semble bouquiner sur sa liseuse et ce petit côté intellectuel lui plait beaucoup.

Sa meilleure amie discute à l’extérieur avec les autres Drifterz et elle ne l’a pas prévenu de son envie irrépressible de tenter à nouveau une percée vers son diable. Et pour cause, son binôme n’approuverait pas qu’elle expérimente de nouveau quelque chose qui pourrait lui occasionner du tort.

Avec assurance, elle s’arme donc de confiance en elle et inspire un grand coup. Fièrement, elle se rapproche de l’objet de ses convoitises, un sourire enjôleur peint sur le visage.

Joakim la voit arriver dans sa direction et sa mine s’assombrit aussitôt. Lui qui s’isolait pour ne pas se coltiner les gloussements de cette idiote d’Amy Wills, qui traine actuellement avec son Crew, doit se préparer à interagir avec la deuxième cruche insipide de sa classe…

— Là, tout de suite, j’ai envie de tout sauf d’avoir maths ! lui envoie-t-elle en mimant une grimace d’effroi.

Une phrase soigneusement choisie, car il semble toujours s’ennuyer en arithmétique.

— Tu veux quelque chose ? lui renvoie Joakim avec agacement et sans même lever la tête vers elle.

— Je m’occupe en attendant le retour d’Amy ! Et je t’embête au passage. Qu’est-ce que tu lis ?

— Trisha, quand tu me regardes, est-ce que tu as l’impression de voir en moi quelqu’un qui a un quelconque intérêt pour ta personne ?

— Je n’en sais rien. À toi de me le dire ! Parce qu’il faut avouer qu’on irait bien ensemble !

— Si ce qui s’est passé samedi t’a donné des idées, oublie-les, car tu es tout, sauf mon genre, grince Joakim en bondissant de sa chaise pour la pousser en arrière. Il faut vraiment que tu m’oublies, car la prochaine fois, je pourrais être vraiment méchant.

Il lance sa menace avec une haine palpable qui déchire le cœur de la jeune fille. Elle en tremble de peur, surprise et terrifiée, puis lui balbutie en retour :

— Désolée… Je. Je…

Son estomac se noue devant son mépris évident. Elle ne s’est jamais sentie aussi insignifiante qu’aujourd’hui.

— Sois mignonne maintenant et dégage dans les pattes de ton arriéré de mec, vous êtes très bien assortis. ajoute-t-il froidement.

Sur cette dernière réplique, il se rassoit et reprend sa lecture, l’air de rien.

La rouquine détale sans prononcer un mot de plus, regrettant d’y avoir cru une nouvelle à nouveau. « Il n’y a décidément rien à tirer de ce sale type », songe-t-elle, écœurée par sa propre naïveté.

~ 031 ~

Temps de lecture : 3 minutes

 

* 

 

À quelques kilomètres de là, sur la terrasse d’une luxueuse maison en bord de mer, sur deux étages et à Long Beach, Joakim décroche un appel de son ami Miguel :

— Salut, lui répond-il rapidement, l’air intrigué.

Il n’a en effet pas vraiment l’habitude d’avoir des contacts avec son Crew le dimanche ; un jour qu’il passe généralement chez Kristofer.

— Salut, Joakim, ça va ?

— Va droit au but, Miguel.

– OK. Alors, je suis avec le Crew, et…

— Donne ton téléphone à celui qui a un message pour moi, commence à s’agacer Joakim, qu’ils aient des couilles, un peu.

— Oh non ! Ne t’en fais pas, personne n’a rien contre toi, rassure aussitôt Miguel en sentant la nervosité palpable de son interlocuteur. C’est juste Mickael qui est embêté pour son pote. Tu sais, Joey Sanders. Tu le connais, je crois…

— Dis-moi que je rêve ? grince le jeune Bauer en fronçant les sourcils. Mickael en est réduit à passer par toi pour faire les commissions de l’autre auprès de moi ? Bordel, je patauge dans la connerie.

— Euh… bafouille Miguel, l’air embarrassé. En fait, Sanders n’a rien demandé… Je crois que c’est juste pour Mickael.

— Donne, gronde le concerné en piquant vivement le téléphone de l’oreille du pauvre Miguel.

— Ok Jo’, reprend-il après une longue inspiration, je suis désolé de l’avoir utilisé et je ne vais pas tourner autour du pot. Ce que tu as fait hier soir, c’est dégueulasse.

— Pardon ? s’énerve Joakim.

— Écoute, je ne veux pas m’embrouiller ! Surtout que, d’après les mecs, c’est elle qui a fait la chaudasse auprès de toi. Mais le résultat est que… bref, tu sais que c’est la meuf de mon pote, alors j’aimerais te demander de ne pas remettre le couvert avec elle. Il est dévasté… Et ça me fait chier.

— Vous êtes en train de me faire un Prank [1], rassurez-moi ?

— OK, je sais que ça a l’air fou, mais Joey est avec sa meuf depuis deux ans et il est fou d’elle. Tu sais que c’est mon meilleur pote, et moi, je sais qu’au fond, tu n’en as rien à foutre de sa gueule. Je te le demande comme un service. S’il te plaît, ne la touche pas.

— Tu vas me dire maintenant à quel moment vous avez pensé que je m’intéressais à cette conne ? 

— Ah bah c’est génial alors ! Tu me rassures, du coup ! Tu ne feras donc rien vis-à-vis d’elle !

— On ne peut jamais être sûr de rien dans la vie. Sur ce, je dois te laisser, à plus.

Sur ces dernières paroles, il raccroche nerveusement son téléphone pour terminer son verre de whisky d’une traite, avant de retourner à l’intérieur où la fête de Kristofer bat encore son plein. Son Crew vient de lui retirer sa bonne humeur en se comportant de nouveau comme des gamins insipides et puérils. Il ne supporte plus ces discussions idiotes uniquement dirigées autour de lycéennes abruties et il a souvent l’impression de perdre son temps avec ses amis Drifterz…

[1] Prank : farce, canular (tour joué à quelqu’un, action destinée à faire rire aux dépens de quelqu’un).

L'Améthyste