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=== 8 juin 2014, 7h30 du matin… ===

Les cris terrifiés de sa fille l’avaient fait grimper au premier étage plus vite que l’éclair. La dernière fois que Raphael avait couru aussi vite, c’était lorsqu’on l’avait appelé en urgence, alors qu’il travaillait encore, pour lui annoncer que son épouse venait d’entrer en salle de travail et que ses jumeaux arrivaient. Ce jour-là avait été le troisième plus beau jour de la vie de ce père comblé et aimant. Le premier ayant été celui de son mariage et le deuxième, celui de la naissance de son fils aîné…

Le cœur de Raphaël avait donc volé en éclats dès lors qu’il eut découvert le petit corps frêle et fragile de son fils Alarich, allongé et inerte sur la moquette de sa chambre.

Un doux sourire étirait cependant le visage de l’adolescent qui avait plus l’air endormi que mal en point ; sans doute était-il victime d’un malaise sans importance capitale. Raphaël refusait alors de dramatiser et appelait les pompiers dans la seconde pour qu’une ambulance démarre aussitôt de chez eux en direction de leur domicile.

Derrière Raphaël et alors qu’il prenait délicatement dans ses bras son enfant inconscient pour le remuer légèrement en l’appelant par son prénom, sa fille ne s’arrêtait plus de pleurer en bafouillant maladroitement sa détresse ainsi que son impuissance face à ce qu’elle savait être un drame.

Joakim arrivait derrière elle à ce moment-là. Le jeune homme avait en effet pris son temps pour monter les escaliers, car ses jambes et son esprit avaient semblé ne plus vouloir lui obéir. Figé, tel un poteau sans vie, il restait derrière sa sœur, l’air bête, complètement ahuri, voire débile. Tellement impuissant. Inutile.

Il ne réalisait pas vraiment ce qui était en train de se produire sous ses yeux et à cet instant, il aurait bien aimé laisser couler un peu de liquide sur ses joues, sur son visage stoïque.

Vous savez, ce liquide lacrymal que sa cadette déverse avec abondance sur les siennes, elle. Cette délicate mixture que les gens désespérés laissent échapper de leurs globes oculaires pour exprimer leur désarroi ainsi que leur désespoir. Grace à lui, ils affirmaient leur sensibilité ainsi que leur humanité. Ils avouaient être affectés par des événements. Pourtant, Joakim n’arrivait pas à imiter sa cadette. Son cœur demeurait plus vide et glacé que jamais, violemment enseveli dans un gouffre sans fond où était en train de s’unir l’ensemble de ses craintes et angoisses. Tous unis pour anéantir ! Une spirale sans fin s’ouvrait sous les pieds de l’adolescent qui en avait désormais la gorge qui le brûlait à tel point qu’il en avait du mal à respirer. Et ce, malgré qu’il ne laisse toujours pas échapper le moindre sanglot et que son corps n’eut bougé d’un seul millimètre.

Désemparée et complètement paniquée, Erika continuait à balbutier entre deux sanglots et en direction de son père,

– Il .. Il ne se relèvera pas, n’est-ce pas… C’est fini, hein ? Dis-le… Il.. Il nous a abandonnés.. Il…

Le car de son école de danse choisissait ce moment-là pour klaxonner soudain devant leur domicile et Erika en profitait pour se relever d’un bond pour courir s’y engouffrer, sans se retourner ni prononcer un mot de plus. Il fallait qu’elle fuie, il fallait qu’elle coure, vite, vite, le plus vite possible.

L’adolescente était morte aujourd’hui. Une part d’elle s’était envolée en même temps que son frère et pour ne plus y penser et réaliser ce qu’elle venait de perdre, son double, son frère jumeau, sa moitié à elle et rien qu’à elle, elle décidait qu’aujourd’hui, elle allait danser comme elle ne l’avait encore jamais fait. Il ne lui restait plus que cela à faire, de toute manière.

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=== 8 juin 2014, 8h30 du matin… ===

 

L’heure du décès du jeune Alarich est finalement annoncée aux parents du concernés qui avaient pourtant prié tout ce qu’ils pouvaient, attendant patiemment et désespérément en salle d’attente, qu’une équipe de chirurgiens ne tentent de sauver leur enfant. Mais il fallait croire qu’un miracle ne leur serait pas accordé, aujourd’hui…

Eva est la première à s’effondrer et les bras de son époux la réceptionnent pour qu’elle y enfouisse sa tête. Elle tremble comme une feuille et n’en revient pas.

Le couple va pleurer ainsi, l’un sur l’autre, pendant plusieurs longues minutes, essayant de réaliser l’ampleur de la tragédie.

Naturellement et comme toujours lorsqu’ils devaient affronter quelque chose de douloureux, les deux amants se tournaient l’un vers l’autre car malgré tout ce qu’ils avaient pu vivre récemment, être ensemble les rendait toujours plus forts dans l’épreuve. Cela n’avait jamais changé avec les années.

Plus qu’un couple, les époux Bauer avaient su montrer au monde, à leur entourage, que les âmes-sœurs , cela existait réellement. L’un sans l’autre, ces deux-là n’étaient rien et pouvaient tout affronter et vaincre, mais aujourd’hui, le drame qu’ils étaient en train de commencer à vivre leur paraissait insurmontable à première vue.

Cela ne pouvait être la réalité. Ils ne l’acceptaient pas. Ils ne pouvaient être en train de vivre la perte de leur deuxième fils. Cela faisait bien trop mal. Une partie d’eux se fissurait. Leurs cœurs volaient en éclats.

En parallèle, Erika passait sur scène pour sa danse en solitaire. Sa grâce et son talent émerveillaient, Et son sourire illuminait la salle. Qui aurait pu croire que cette si jeune adolescente vivait aujourd’hui l’un des jours les plus sombres de son existence ? Elle ne laissait en tout cas rien paraître et même dans le bus pour se rendre à la compétition, elle n’avait éparpillé aucun indice. Son masque de fer se renforçait avec les minutes. Morte de l’intérieur. Elle ne ferait que danser aujourd’hui, tout en pleurant intérieurement dès que les vers de la chanson qu’elle anime lui rappelleraient la réalité et l’importance de sa perte, aujourd’hui…

…Every time I try to fly, I fall… Without my wings, I feel so small…

=== 8 juin 2014, 9h30 du matin… ===

Ses parents pleuraient encore, à l’hôpital toujours, que l’adolescente présentait désormais sa danse de couple avec son compagnon Jonathan. Aucun membre de sa famille ne serait là pour la regarder aujourd’hui mais cela n’empêchait pas le duo de danser sur sa propre interprétation d’Apologize et les planches de la compétition se souviendraient longtemps de ce numéro à la sensualité exquise. Ces adolescents étaient magnifiques… Plus que des enfants, de vrais adultes. Sublimes et talentueux. Nombreux étaient d’ailleurs ceux qui les imaginaient en couple, dans la vie de tous les jours… Et nombreuses étaient celles qui se seraient bien damnées pour se lover dans les bras du beau Jonathan qui s’était vraiment sublimé au fil des semaines alors que ses cheveux poussaient un peu trop ! Sa flemme de se les couper avait doublé son sex-appeal et toutes le lui disaient. Toutes, sauf sa petite amie qui avait préféré le quitter car son succès auprès du genre féminin commençait à lui sortir par les yeux. Jonathan avait laissé couler… Les Nationales approchants, il ne pouvait se permettre de se laisser perturber par les crises de jalousie idiote d’une petite amie trop accro.

=== 8 juin 2014, 9h45 du matin… ===

On aurait pu croire que le fait d’enchaîner deux danses d’affilé aurait pu épuiser Erika Bauer, puisque après son incroyable numéro avec Jonathan, elle devait passer avec deux autres amies Watcha Say, mais il en était carrément tout le contraire lorsqu’on la voyait une nouvelle fois, aussi radieuse et épanouie, sur la scène de cette compétition annuelle. Qui aurait pu se douter que l’adolescente Bauer vivait un tel drame, aujourd’hui… Strictement rien le trahissait et cette nouvelle danse exquise émerveillait encore une fois. Dès la fin du numéro, les juges applaudissaient et leurs francs sourires trahissaient clairement leur joie d’en avoir ainsi prit ainsi pleins les mirettes! Pas que les autres concurrentes les aient dégoûtés, loin de là, mais il fallait avouer que le trio de danseuses Watcha Say était pimpant et fabuleux ! Ces trois-là iraient loin, c’était certain !

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=== 8 Juin 2014, 11h30 du matin… ===

 

Cette matinée n’en finissait pas. La fatigue gagnait peu à peu Erika et elle s’en laissait tomber sur l’un des canapés des coulisses, tandis que le reste de ses amies danseuses continuaient de s’extasier de leurs prestations respectives, attendant patiemment, mais tout de même avec impatience, les résultats finaux. Comment les juges les noteraient-elles toutes ?! Ces questions brûlaient les lèvres de chacune de ces jeunes filles passionnées, mais Erika ne participait pas à leurs échanges. Trop lasse pour cela.

En temps normal, l’adolescente aurait adoré se trouver au milieu de ses amies pour vanter ses propres prestations et en être fière, mais aujourd’hui ? Plus rien n’importait et son masque commençait à se fissurer lentement. La réalité la rattrapait.

Désormais, qui la comprendrait aussi bien que le faisait son frère jumeau. Qui ? Son frère ainé ? Joakim ? Non. Aussi attachée qu’elle puisse être au concerné, il ne remplacerait jamais celui qui l’avait quitté. Alarich, c’était Alarich. Un être irremplaçable dont l’absence resterait insupportable. Erika ne pouvait s’imaginer sans lui à ses côtés. La vie serait fade et sans intérêt, sans sa présence. Il lui manquerait toujours quelque chose. Ses yeux commençaient à s’en humidifier de nouveau et alors qu’un brouhaha incroyable commençait à s’échapper de la foule restée devant les planches et les juges. Les notations semblaient avoir été enfin révélées et Erika pouvait déjà entendre des cris et hurlements insupportables. Elle les détestait tous…. Ces chiens qui clamaient leur bonheur alors qu’elle avait tant perdu, elle.

– Erika, Erika, debout !!!!!

– Hein ? Quoi ? Marmonne enfin l’adolescente en s’extirpant péniblement de sa léthargie dépressive,

– Tu dors, ou quoi ?! Tu n’as rien entendu ?!?

– De… De quoi ?

Molly riait sur le coup de l’air ahuri et stupide de son amie, avant de l’attraper vivement par le bras pour la tirer en avant. Cette idiote dormant véritablement debout ne semblait pas avoir réalisé sa consécration, aujourd’hui…

1ère place Solo, Erika Bauer, des Watcha Say

1ère place Duo, Erika Bauer & Jonathan Bell, des Watcha Say

1ère place Trio, Erika Bauer & Molly Gray & Kaylah Moore, des Watchay Say

Erika avait à peine le temps de réaliser ce qu’il se passait autour d’elle et alors que des centaines de personnes se mettaient déjà à applaudir frénétiquement. Ses jambes flageolaient soudain et elle en titubait en s’agrippant un peu plus fort à son amie Molly qui la retenait, surprise, en l’appelant avec angoisse, choquée par la coulée de sang qui dégoulinait de son nez et alors que la jeune Bauer perdait connaissance.

– Erika ?! Erika ?! Ça ne va pas ?!! Erika ???? Merde, au secours ! Quelqu’unnnnnn !!!!

Pile le jour de sa consécration ultime. Cela se produisait, pile le jour de la grande victoire de sa vie ; celle qui aurait pu lui ouvrir tant de portes et celle quelle aurait dû célébrer pendant des jours et des semaines, le cœur en joie et plus heureuse que jamais. S’il paraissait que le Karma savait être Bitch pour rendre des revers de médailles, qu’en était-il du simple Destin qui s’acharnait sur ceux qui ne le méritaient aucunement ?

L'Améthyste