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À un étage de là, Joakim profite d’un instant où il croise sa mère seul à seule pour poser d’un geste calme son iPhone sur le comptoir de la cuisine.
Sa mère se fige brusquement contre le réfrigérateur dès que le petit objet se met à répéter certaines paroles qu’il a enregistrées il y a quelques jours.
Le sol s’effondre aussitôt sous les pieds d’Eva Bauer qui dévisage rapidement son plus grand enfant, le regard rempli d’incompréhension, mais également de terreur. Comment le téléphone de son fils avait-il pu enregistrer une telle conversation ? Le visage d’Éva blêmit et ses yeux s’humidifient.
— Qu’est-ce que c’est que ça… ? Et puis… Ce.. Sache que ce n’est pas ce que tu crois, c’est… C’est… bafouilla -t-elle maladroitement.
Son fils est assis sur le tabouret devant elle. Il la dévisage avec une assurance ainsi qu’une froideur presque terrifiante.
— Tu n’as pas une tournée qui commence bientôt ? S’enquit-il en rangeant son iPhone dans le creux de sa poche, l’air toujours impassible. Je ne m’en souviens plus, mais je crois que tu vas bientôt repartir, non ? Demain, peut-être ? Cela serait une bonne idée, car ça éviterait que cet enregistrement ne tombe entre de mauvaises mains. Qu’en penses-tu ?
Éva en reste bouche bée, réduite au silence. Le visage blanc comme un linge, elle tente de ne pas défaillir. Ses yeux se remplissent de larmes. Sa vue se brouille et les mots se mélangent dans son esprit. Ses jambes flageolent, en rythme avec son cœur et sa respiration qui s’accélèrent. Elle cherche désespérément des arguments à lancer. Un moyen de le rassurer. De lui expliquer. De se justifier. D’ignorer ce qui semble être pourtant une évidence. Que pourrait-elle lui envoyer en plein visage pour effriter sa belle assurance alors qu’il l’attaque ainsi ?! Les mots se mélangent dans son esprit et elle n’en trouve aucun capable de s’associer pour renvoyer son fils jouer dans son youpala.
À la place, l’air complètement désespéré par son impuissance, elle reste plus muette qu’une carpe et elle le dévisage de la tête aux pieds, le regard anéanti, alors qu’il se relève de son tabouret pour la dévisager, l’air fier. Elle l’observe avec détresse en visualisant un flashback où elle le revoit sous la forme d’un adorable bambin qui venait affectueusement vers elle en trottant maladroitement, les bras grands ouverts, un large sourire peint sur les lèvres. Il l’appelait alors, avec une infinie tendresse, « mamaaan, maisonnnn, maaamannn !!! », parce qu’elle revenait chez eux après une absence de quelques heures à peine.
À une époque, elle lui manquait après seulement quelques heures passées loin de lui. Leur complicité faisait des envieux. Et aujourd’hui, c’est avec un air de mépris qu’il la chasse…