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Plus tard et peu avant le début du dernier cours de la journée, Trisha retrouve son petit ami qui vient de revenir dans leur salle de classe. Elle le remarque devant le pupitre où elle s’assoit d’habitude, en train de fouiller dans son téléphone portable qu’elle avait laissé sur sa table, le temps d’aller au petit coin.
Sans attendre, elle se précipite vers lui pour l’attraper tendrement par-derrière :
— Je t’y prends ! Eh eh, dis-moi que tu es jaloux et que tu espionnes ma liste de contacts en fulminant sur tous les prénoms de mecs qu’il y a dedans, dis-le-moi ! rit-elle avec amusement.
— Euh, non ! lui répond Joakim. Je m’occupais en regardant de quelle façon tu m’as entré dans ton répertoire.
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En fin de journée et alors que le jeune Bauer vient de ranger sa moto dans le garage familial, son téléphone vibre soudain et il se hâte de décrocher, l’air satisfait.
— Ouaip allô Hajer ! Alors, comment ça s’est passé ?
— Ce sont des fils de putes !
— Ah merde…. réagit Joakim en analysant très vite la détresse de son comparse.
— Je suis dégouté ! grince-celui-ci avec un désespoir palpable, bref, tu tenais à ce que je t’appelle en sortant… c’est fait ! Et tu avais raison, je suis nul…
Le jeune auteur réprime un sanglot.
— Non, j’avais tort, le contredit calmement son interlocuteur. Et tu ne vas pas te laisser écraser.
— Ah ouais ? reprend l’écrivain déchu avec une colère croissante. Et qu’est-ce que tu veux que je fasse pour leur apprendre à péter moins haut que leurs culs, à ces enculés ?
— Un feu de joie !
Le Drifterz en larmes en rit aux éclats, puis ajoute avec aigreur.
— Ça serait tout ce qu’ils méritent, mais ils ont du bol, j’ai rien sur moi pour tout faire cramer.
— Et comment tu allumes tes clopes, alors ?
— Ben, sachant que j’essaie d’arrêter de fumer… répond-il en fouillant tout de même ses poches.
Dans la plus grosse de son baggy, il réalise rapidement la présence d’un petit objet métallique et glacé ; un briquet en chrome de la marque Zippo.
Il sourit face à cette savoureuse coïncidence, puis se demande quand il a pu subtiliser cet objet. « Surement un larcin dérobé en boite de nuit ». Il en rigole et s’en amuse, tout en informant Joakim de sa trouvaille.
— La nuit va bientôt tomber et la station-service d’à côté est ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Renseigne le jeune Bauer avec calme avant de jeter un œil à sa montre. Oh merde, je dois te laisser, je te rappelle un peu plus tard. Ou toi, si tu as besoin de quoi que ce soit.
Il raccroche son téléphone après une tirade qui réussit à troubler un interlocuteur simplet.
D’un pas lent, car encore désespéré par son échec d’aujourd’hui, Hajer commence à s’éloigner avec une sensation d’avoir le cœur pris dans un étau. Il se souvient douloureusement de toutes ces heures passées à écrire, pour rien. D’un père qui le traite de minable au quotidien, de déchet qui n’arriverait jamais à rien…
Une heure plus tard et à force de cogiter sa détresse, il revient aux alentours de Black Coat Press. Deux jerricanes moyens gonflent désormais son sac à dos.
Il en serre les dents de rage, puis, aveuglé par sa propre colère et satisfait que cet endroit soit aussi si peu fréquenté ce soir, il éparpille discrètement des papiers froissés devant l’entrée du bâtiment, avant de leur vider dessus ses deux bidons.
D’un geste vif, il enflamme ensuite le tout.
C’est lorsque le feu commence peu à peu à grimper sur l’établissement en grignotant la grande porte en bois qu’une peur terrible s’empare du pyromane novice. Terrifié par son acte irréfléchi, il court à quelques mètres pour se jeter derrière un buisson, dissimulé dans l’ombre, pour s’y cacher et se dépêcher de téléphoner à Joakim.
Par chance, celui-ci, qui attendait son appel avec impatience, décroche dès la première sonnerie :
— Oui ? Ça va ?
— Non ! Au secours, Jo, qu’est-ce que j’ai fait ? Au secours, aide-moi !
— Qu’as-tu fait ? s’enquiert son interlocuteur avec un sourire en coin qui trahit une infinie satisfaction.
— Ce que tu m’as dit… JE SAIS, je suis trop con ! Pitié, aide-moi ! Ne me laisse pas tomber, je t’en supplie, me laisse p…
— Jette dans les flammes tout ce qui peut être compromettant, ordonne calmement le jeune Bauer avec une assurance terrifiante. Tout ce qui peut servir à allumer un feu, allumettes, briquet, bref, vide tes poches. Et ensuite, barre-toi.
— J’ai.. j’ai.. j’ai toujours le briquet, et.. Bégaie l’écrivain désespéré avant de reprendre, bref d’accord, tout de suite, je.. Je.. Tout de suite ! Je fais ça ! D’accord !
Il revient discrètement vers les flammes et, dans la panique, y jette quelques bouts de papier insignifiants, un paquet de chewing-gum, ainsi que le fameux Zippo, avant de courir dans la direction opposée.
— Calme-toi, respire, marche paisiblement, tu n’as rien à te reprocher. Tu es un passant comme un autre. Rassure Joakim dans son téléphone, car il perçoit des halètements.
— Qu’est-ce que j’ai fait, qu’est-ce que j’ai fait ? Putain, j’entends les pompiers ! J’entends les pompiers ! À l’aide !
— Et alors ? Il y a eu un incendie, c’est donc tout à fait normal qu’ils arrivent, ils font leur boulot. Continue ta route en marchant l’air de rien. Ton visage laisse transparaitre ton agacement vis-à-vis de la jeunesse actuelle, tu es lassé de vivre dans une ville avec tant de criminalité…
— Mais c’est moi qui ai fait ça, Jo ! Criminalité, mes couilles, c’est moi le criminel !
— Hein ? Mais non, tu n’as rien fait, puisqu’il n’y a aucune preuve pour t’incriminer. Tu m’entends ? Tu n’as rien fait. Et personne ne saura jamais ce qui s’est passé cette nuit. Toute cette histoire restera entre toi, et moi. Alors, tu vas rentrer chez toi et tout oublier.
— Et si je, et si je…
— Personne ne remontera jusqu’à toi. Car personne ne t’a vu, ce soir. Personne. N’est-ce pas ?
— O. Oui. Personne…
— Très bien, c’est parfait. Rentre paisiblement chez toi, maintenant. Et fais-moi confiance. Tu as confiance en moi, n’est-ce pas ?
— Oui…
Hajer ne ment pas, car il ne peut se sentir qu’en sécurité avec un ami qui a toujours une longueur d’avance sur les évènements. Jamais rien ne pourrait le prendre au dépourvu et tous le savent…
— Tu es encore loin de chez toi, là ? demande de nouveau le jeune Bauer.
— Non, je suis arrivé…
— Alors, monte dans ton appartement, prends une bonne douche, mange, et va te coucher. Demain, on a un examen de maths ! Ne pense plus qu’à ça. Je te vois au lycée, bonne nuit.
— O.Oui…
— Fais ce que je t’ai dit et tout ira bien.
— Oui, promis…
— Bien. Bonne nuit.