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=== 18h30… ===

Malgré toute sa bonne volonté et son implication dans la recherche du diagnostique de sa sœur, Joakim se noie autant dans l’incompréhension que les professionnels diplômés qu’il pensait pourtant pouvoir surpasser. Un triste retour à la réalité pour le jeune génie : il n’était pas si supérieur à eux que ça, finalement et ce, même s’il avait su impressionner tout le monde en avalant une bibliothèque entière de bouquins de médecine. L’égo de l’adolescent en prenait un coup. Lui qui s’imaginait qu’en possédant la connaissance, l’on pouvait tout obtenir et accomplir, se rendait compte qu’il avait peut-être tort à ce sujet, puisque l’on pouvait apparemment tout savoir sans pour autant être capable de mettre un nom sur une maladie, un traitement.

Au rythme où l’état de santé de sa sœur se dégradait, la concernée n’avait plus une semaine à vivre désormais. Nullement naïf, Joakim savait bien que le pire arriverait dès que le corps de sa cadette ne pourrait plus assimiler tout ce qu’on lui faisait subir pour tenter de la soigner à tâtons. Elle n’en avait plus pour longtemps.

Bien conscient de cela, Joakim ne va pourtant pas la voir et ce, malgré que l’adolescente puisse facilement recevoir des visites, dans sa chambre personnelle. Le jeune homme ne pouvait se résoudre à se présenter devant sa cadette tant qu’il ne pouvait lui annoncer qu’elle serait sauvée. Il n’en avait pas le courage. Il ne voulait plus voir son visage tant qu’il ne serait pas certain qu’il le verrait encore en vie dans une semaine et ce même s’il était le premier à penser qu’il fallait toujours faire ses adieux aux mourants, tant que l’on le pouvait encore. Borné, il refusait de se dire que dans quelques jours, elle mourrait réellement sans qu’il n’ait rien pu tenter. C’était impensable. Inconcevable. Il allait trouver un moyen, il le devait.

Sous ses airs calmes et assurés, il perdait pied et entrait très vite dans une spirale dépressive, nourrie par cette peur terrible de « ne pas y arriver ». À côté de quoi passait-il donc pour ne pas réussir a faire la lumière sur ce qui tuait sa soeur à petit feu ? Il y avait forcément un moyen de la sauver et même s’il se dissimulait habilement, il pouvait être débusqué ! Joakim le savait et son entêtement décuplait !

Le fait que l’adolescent en soit à ses 48h sans fermer l’œil ne l’aidait clairement pas à se concentrer dans de bonnes conditions, car les nerfs à fleur de peau, l’esprit brouillon, il ne tolérait et n’acceptait plus rien de personne. Il ne se contentait plus que de réfléchir seul, encore et encore.. Inlassablement. Il était forcément passé à côté de quelque chose de crucial et il devait absolument trouver quoi. Se mettant de plus en plus de pression, Joakim portait sur ses uniques épaules l’obligation de sauver sa sœur, car à ses yeux, personne d’autre ne saurait réussir cet exploit. Il ne leur faisait plus confiance, à ces soi-disant diplômés qui avaient, malgré leurs nombreuses années d’études, laissé mourir son frère. Il ne dormirait donc plus tant qu’il n’ait pas trouvé le moyen de sauver sa cadette.

Et ce même si ses « collègues » diagnosticiens lui conseillaient de décrocher quelques heures afin de rentrer chez lui, faire un somme, se relaxer… Son acharnement effrayait désormais, car personne ne voulait le voir s’obstiner pour finir par tomber au sol. Le manque de sommeil était dangereux pour l’organisme et si 48H cela passait encore, au vu de l’entêtement de cet adolescent hors du commun, il ne fallait pas s’attendre à ce qu’il accepte de quitter cette salle autrement que sur un brancard. Un humoriste pourrait passer dans le coin de plaisanter sur le sujet, « Quand des 35h font grève pour exiger de meilleurs salaires, d’autres s’acharnent 7Jrs/7 bénévolement ! »

Borné, Joakim ignorait les mises en garde. Il n’avait pas besoin de dormir ! Ce n’était pas sa vie à lui qui était en danger aujourd’hui ! Alors il resterait et réfléchirait jusqu’à ce qu’il trouve ce qui tue lentement sa sœur. Point.

Devant son sérieux et son implication, le directeur de l’hôpital venait amicalement lui proposer de rejoindre son équipe de diagnosticiens après son bac et Joakim refusait sur-le-champ. Cela ne l’intéressait absolument pas, car ce métier lui sortait désormais par les yeux. Il ne se voyait pas passer sa vie entière à trier des connaissances déjà acquises pour comprendre les maladies de chacun. À la place, il préférait la découverte constante, mais il n’écoutait déjà plus son interlocuteur alors que celui-ci lui annonçait que s’il voulait travailler dans la recherche, il y avait aussi de la place dans le laboratoire de son hôpital. Il était même prêt à payer de sa poche une formation à l’adolescent pour que celui-ci accepte ce travail…

Complètement désintéressé par ces propositions, Joakim se fichait de ce qui lui était offert, car sa bulle d’épanouissement se fissurait un peu plus à chaque instant. En le voyant devenir aussi irritable, exécrable et stressé, il devenait difficile de se souvenir qu’il n’y avait pas 24h, l’adolescent jubilait autant qu’un enfant emmené à Disneyland pour la première fois de sa vie.

Il était clair que plus rien ne plaisait désormais à Joakim et sur son visage, seule la fatigue et l’anxiété pouvaient encore se lire et alors qu’il enchaînait les cafés quasiment les uns après les autres. Il ne devait pas dormir. Il ne devait pas sombrer. Il devait tenir… Jusqu’à ce qu’il ait trouvé.

Hajer Riahi l’appelait soudain sur son téléphone portable et malgré qu’il ne l’ait pas allumé pour avoir un contact avec le concerné, Joakim décrocha tout de même, l’air las et désintéressé,

– Quoi encore ?

– Je… Je.. Je suis désolé de t’ennuyer, mais je dois te parler de quelque chose, et je..

– Tu vas jamais me lâcher à la fin ? Tu ne réalises pas que j’en ai marre de t’avoir sans arrêt collé à mon cul ? Tu ne peux pas aller voir ailleurs si j’y suis, un peu ?

– Ok. Je voulais juste te prévenir que je pars me rendre à la police. C’est le mieux pour tout le m…

– Cool ta vie.

Excédé, Joakim raccrochait dès la fin de sa réplique et son mépris n’en était que plus palpable, décuplé par le fait que depuis qu’il ait rallumé son téléphone, ce ne soit que ce crétin d’Hajer qui ait tenté de le joindre ! Ah pour faire la miss monde qui exigeait toute l’attention de ses semblables, Trisha Hill était douée, mais dès qu’il fallait prendre sur soi et le rappeler plus tard, cela devenait trop difficile à faire pour cette idiote ! Qu’à cela ne tienne, il ne la rappellerait pas le premier, foi de Joakim. Qu’elle aille au diable, elle aussi. Stressé, Joakim ne réfléchit pas à la crédibilité des paroles de son ami Hajer, un surplus d’agacement d’accumulait et il n’était plus en état de se préoccuper de ses crises existentielles.

L'Améthyste