*
Dans la maison d’à côté, et après quelques câlins avec son époux, Éva abandonne quelques instants son homme pour rejoindre la chambre du fils qu’elle n’a pas encore salué ! Elle doit s’entretenir quelques instants avec lui…
— Tu n’as pas cours, aujourd’hui ? sourit affectueusement Éva en pénétrant dans l’antre de son fauve préféré. J’espère que tu ne sèches pas, vilain garçon !
— Je vois que tu as déplacé quelques meubles ! ajoute-t-elle avec entrain. Ta chambre gagne de l’espace ainsi, c’est bien pensé ! Souhaites-tu qu’on aille prendre le soleil tous les deux ? Ça serait mieux que de rester enfermé par un temps pareil !
— Je lis, répond froidement Joakim sans lever le regard de sa liseuse.
— Écoute, mon chéri, je ne vais pas y aller par quatre chemins… Je suis désolée pour le cirque que ta grand-mère a fait après mon départ. Elle n’aurait pas dû. Il faut que tu l’excuses, car je pense qu’elle avait juste peur que tu dises des âneries à ton père.
— Des âneries ?
— Bien entendu. Sensible, tu as été heurté par une phrase qui t’a semblé compromettante, alors qu’il n’y avait pas de quoi.
— Moi, sensible ? rétorque Joakim, acide, reprenant plus froidement. « Je n’ai rien dit à personne, mais toi, tu vas le faire. »
— Pardon ? Oh, ça suffit maintenant. J’ai été gentille la dernière fois, mais n’oublie jamais que je suis ta mère et que je suis fatiguée de ton insubordination !
— Et je m’en fiche complètement. Si ce n’est pas toi qui lui dis, je le ferai.
— Jamais il ne te croira.
— N’en sois pas si certaine.
— Stop ! Putain Joakim, qu’est-ce que tu me fais ?! Tout ça pour… Un malentendu ! Es-tu sûr de bien avoir écouté ton fameux enregistrement, au moins ?! Parce que plus j’y pense et plus je me dis que tu n’as repéré qu’une phrase perdue dans une conversation !
— J’ai entendu le plus important.
— Non !
— Et tu vas le dire à papa ou je dois m’en charger ?
— Tu veux prendre le risque de détruire notre famille, juste parce que tu as cru entendre un bruit qui t’interloque… ? balbutie tristement Éva en s’asseyant sur le lit de son fils.
Ses nerfs sont mis à rude épreuve. Elle reprend :
— Mon bébé. Je.. Je sais que je n’ai pas toujours été très présente, et je me doute que tu me reproches toutes mes absences, mais… Enfin… Tu m’en veux et juges que je ne suis pas une bonne mère, mais… mais j’ai décidé de changer. Tu sais que j’ai pris une année sabbatique ? Juste pour pouvoir rester à la maison, avec vous… Alors je t’en prie, crois en moi comme tu l’as toujours fait et ne me blâme pas injustement pour je ne sais quelle idiotie et…
— Tu iras le dire à papa, ou je le ferai.
— Je t’en supplie, ne me demande pas ça… Il ne comprendra pas…
— Tu lui dis, ou je le ferai. Sur ce, si tu pouvais me laisser ? J’aimerais finir mon roman.
Le ton de voix de son fils est si glacial qu’Éva en a des frissons. L’air perdu, elle lui bafouille un « OK » triste et maladroit, puis se relève de son lit pour repartir d’où elle vient, l’estomac noué et le cœur en panique.
Comment allait-elle se sortir de ce guêpier ? Ses yeux s’embuent de larmes et sa joie d’être de retour chez elle fond désormais comme neige au soleil.
Joakim, dans sa chambre, éteint sa liseuse d’un geste nerveux pour préférer boxer son sac de sable. Sa mère vient de le faire sortir de ses gonds et, pire encore, elle lui a glissé un minuscule doute au creux de ses pourtant très fiables convictions. Serait-il possible que lui qui ne se trompe jamais ait en effet mal interprété quelque chose à son sujet ?