Quelques marches plus tard et comme dans un accord commun avec sa fille, Raphaël décide soudain de s’en prendre, lui aussi, à la patience déjà bien entamée de son aîné. L’air furieux, il le coince, en bas de l’escalier, pour le gronder énergiquement :
Il use de toute l’autorité qu’il peut posséder. Il parle d’une voix forte, rauque, ses sourcils sont froncés et il postillonne presque à force de crier. Si son interlocuteur ne le savait pas faible et manipulable, il pourrait être impressionné, ce matin. « Pourrait », parce que sa réaction est de ricaner, l’air ahuri. Mais, à quel petit jeu sordide pouvait donc bien jouer son paternel, en cette belle matinée ? Essaye-t-il de le réprimander ? L’a-t-il imaginé âgé de 10 ans et demi et nécessitant un quelconque sermon ? Joakim se sent presque insulté, sur le coup. Comment cela peut-il être possible ? Qu’un mortel puisse s’imaginer être à son niveau. À son divin étage.
— Désormais, ton couvre-feu sera à 22 heures maximum, ajoute Raphaël avec fermeté. Tu n’as pas intérêt à dépasser cet horaire, ou ça va barder.
Joakim pouffe. Son père n’est décidément qu’un bouffon. Il hallucine.
— 22 heures ? répète le jeune homme, l’air hautain, rigolant à moitié. Moi ? Moi, 22 heures ?
— Ta mère n’étant pas là, je suis seul ici et j’ai besoin de toi ici, avoue finalement Raphaël d’une voix plus calme et avec une franche sincérité qu’il pense nécessaire.
— C’est donc cela, tu es tellement bon à rien dans cette maison que tu penses que je vais tenir ton rôle, ricane encore Joakim.
Raphaël sort de nouveau de ses gonds, mais d’une façon plus violente, cette fois. Il est désormais hargneux. Pour qui son fils se prend-il, à la fin ?! Il crie avec férocité et rage, se retient de frapper son rejeton. Ce n’est pas son genre et il refuse de se laisser aller à un tel comportement. À la place, il inspire longuement et reprend d’une voix plus calme.
— Que cela te plaise ou non, ma décision est prise, ton couvre-feu est désormais à 22 heures. Passée cette heure, je verrouillerai la maison et tu te débrouilleras pour dormir où tu veux. D’ailleurs, à ce sujet, je te demande de me rendre tes clefs.
Raphaël a rarement été aussi calme que pendant cette tirade. Toute sa colère semble s’être envolée et cela surprend son fils. « A-t-il réussi à le pousser à bout ? » Le jeune Bauer reste sceptique.
— C’est une blague ? glousse-t-il pour se moquer de son père.
— Donne-moi ton double de clefs immédiatement, insiste tranquillement Raphaël.
— Et si je refuse ? Je ne vois pas pourquoi je céderais à tes délires. Tu n’as pas à prendre de décisions sans maman et je ne crois pas qu’elle approuverait ça.
— Très bien, si tu insistes. Mais sache que j’ai changé la combinaison du portail du garage. Tu ne peux donc plus approcher ta moto. Mon pauvre chéri, toi qui aimes tant ta liberté…
Interloqué par la ténacité de son père, Joakim sort d’un geste vif son trousseau de sa poche pour en décrocher ses doubles de la maison. Il les pose ensuite sur la table à manger, devant le concerné, puis lui envoie d’un air blasé :
— Je dois y aller, tu m’ouvres le garage ?
— Bien sûr, fiston. Passe une bonne journée, et à ce soir ! Avant 22 heures, n’oublie pas !
Joakim meurt d’envie de répliquer quelque chose d’acerbe et cinglant à son paternel, mais il se retient, car il respecte sa tentative d’autorité. C’est pour cette raison qu’il souhaite lui laisser son impression de victoire, alors qu’il aurait pu pirater le digicode de leur garage en cinq minutes seulement.