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Quelques heures plus tard, Joakim arrive chez son plan cul régulier. L’appartement n’est pas verrouillé, il l’est rarement. Il n’a pas besoin de toquer à la porte, il la pousse simplement d’un air stressé. Un jour, les deux femmes qui vivent ici auront un problème grave à cause de leur négligence. Prudent, il enclenche le verrou derrière lui après être entré.
Une fois la chambre d’Amy rejointe, il la constate assise sur son lit, sagement assise en tailleur, une guitare sèche dans les mains.
— Tu joues de ça, toi, maintenant ? la questionne-t-il, sceptique.
Jamais il n’aurait imaginé cette folle avoir une quelconque passion artistique.
— Quand je m’ennuie ! Tu as déjà joué d’un instrument de musique ?
— Non, soupire Joakim en s’asseyant à ses côtés.
— C’est triste. Moi, j’aime bien. Ça fait classe devant les gens !
— Tu sais jouer quelques morceaux ?
— Uniquement « Come as you are », de Nirvana ! répond illico Amy en éclatant de rire.
Joakim esquisse un sourire amusé.
— Hey, tu n’as pas le droit de rire, toi ! Je suis la seule à pouvoir me moquer de moi-même, non mais ! Donc, pour te faire pardonner, tu as le droit de sortir avec moi officiellement, annonce Amy tout en continuant de gratter ses cordes.
Elle a menti à son interlocuteur. Elle ne joue pas de la guitare pour être la personnification du cliché adolescent et elle ne maitrise pas qu’un seul morceau. En effet, devant son amant, elle préfère conserver l’image de l’idiote, pour lui donner l’impression d’être toujours celle qu’il désire. Elle n’est pas dupe et sait qu’il ne recherche pas en elle la petite amie intelligente à montrer en société. À ses côtés, il ne veut qu’assouvir ses besoins, quand sa rousse l’agace. Elle le sait et cette relation la blesse profondément, mais elle est tellement terrifiée à l’idée de perdre ce petit quelque chose qu’ils ont mis si longtemps à construire qu’elle fait tout pour le protéger : S’il l’apprécie idiote, elle restera demeurée. S’il l’adore sans maquillage, plus jamais elle n’approchera un eyeliner… Ou pas. Sa soumission a tout de même ses limites.
— Je venais justement te parler de ça, on ne peut plus continuer ces conneries. Ça va finir par se savoir. Alors on va prendre nos distances.
— Ou nous mettre ensemble officiellement.
— Tu ne réalises pas ce que tu dis. Ça ferait trop de vagues.
— Je note que tu n’as pas dit « non », sèchement. Il y a de l’amélioration, souligne Amy en posant sa guitare contre sa table de nuit.
Elle se lève ensuite en direction de son ordinateur portable posé sur son bureau, à l’autre bout de la pièce.
— Que fais-tu ? lui demande Joakim, sceptique. Tu as entendu ce que je t’ai dit ? Je parlais sérieusement, tu sais !
— Oui, oui, tu es le sérieux incarné ! se moque Amy en cliquant sur une vidéo YouTube ; une chanson en acoustique. Elle met très vite la vidéo en pause avant que celle-ci ne se lance, pour prévenir son amant de l’ombre. « Je voudrais te faire écouter une cover de moi, tu me dis ce que tu en penses ! »
— Vas-y, envoie, dit Joakim en s’installant plus confortablement sur son lit.