*
Au même moment, dans la maison voisine, Erika Bauer vient de revenir de New York avec son école de danse.
Désespérée par sa compétition ratée, elle a couru s’enfermer dans sa chambre pour y pleurer toutes les larmes de son corps.
Masochiste, elle remet sur sa télévision la prestation qui lui a valu sa victoire aux nationales il y a deux ans.
Elle se déteste et meurt de honte quand elle se revoit remporter ce trophée, puis devenir, grâce à lui et petit à petit, l’icône des Watcha Say.
On lui adressait la parole, les yeux brillants d’admiration, après cette victoire, et elle marchait ensuite fièrement, telle une reine, aux côtés de ses camarades Watcha Say, qui la considéraient alors comme l’étoile montante de leur école. Celle que toutes rêvaient d’égaler ! Celle que l’on montrait en exemple ! Elle possédait ce petit statut privilégié… Qu’elle vient de perdre brutalement cette année ! Car Molly Gray le lui a dérobé en s’illustrant à son tour, et à Starquest, en plus ! L’adolescente ne s’en remet pas. Quelle humiliation ! Son estomac en fait des pirouettes et elle s’en mord la main pour s’empêcher de hurler dans toute la maison.
*
Pendant ce temps, Joakim, assis sur le lit de sa rousse, émerge d’une sieste et l’observe se préparer d’un air sceptique : elle vient de terminer son maquillage devant sa coiffeuse, après s’être vêtue d’une robe courte et moulante. Perplexe, il se demande les raisons d’une telle tenue.
— Tu vas quelque part ? questionne-t-il rapidement dans sa direction, tandis qu’elle prend la pose devant son miroir.
— Je vais retrouver Alex, Amy, Noah, Hajer et Aïdan. On va manger dehors, lui répond-elle avec innocence.
— Pardon ? Tu me laisses ici, tout seul ? C’est une blague ? grommelle-t-il aussitôt, choqué.
Il n’en revient pas de son audace, alors qu’il reste chez elle un jour de plus ! « Faites du bien à Martin ; il vous chiera dans la main ! » Songe-t-il avec dégoût. « Déjà qu’il ne l’a quasi pas vue de l’après-midi. Elle exagère ! »
— Tu ne peux pas venir dans ton état, lui sourit-elle tendrement en se rapprochant pour lui déposer un baiser sur le bout des lèvres. Repose-toi bien, je ne tarderai pas !
— Tu sors le grand jeu pour manger avec la bande !
Il lui répond avec une moue boudeuse et la regarde marcher de façon sexy jusqu’à la porte de sa chambre. « Elle roule du cul, en plus ! »
— Je sors toujours le grand jeu, quoi que je fasse ! réagit-elle avec malice et amusement.
Elle quitte ensuite la pièce sans un mot et plus, tandis qu’il reste perplexe et perturbé par son attitude.
« Elle a osé le planter là ! » Pour la première fois depuis le début de leur relation, il n’est pas le centre de son existence !
Son iPhone vibre soudain sur la table de nuit. Il prend aussitôt l’appel de sa sœur.
— Papa a dit que tu révises chez un ami… râle-t-elle dès qu’il décroche.
— Oui, je bosse sur un projet de sciences. Pourquoi ?
— Il parait que tu n’as pas regardé Starquest avec eux… Et ça m’étonnerait que tu l’aies regardé de ton côté…
— En effet, mais, vu le résultat, ça vaut mieux. Tu ne crois pas ?
— Je… Mais t’es dégueulasse ! Tu m’avais promis…
— Je devais réviser.
— Mon œil, oui, ironise Erika en geignant, tu es méchant, tu m’avais promis…
— Si tu es désespérée parce que tu as été naze, y a pas écrit « bureau des plaintes » sur mon front.
— Quoi ? Non ! Je m’en fous de ces résultats qui mentent ! crache sa cadette avec dégoût en hoquetant entre deux sanglots. Mais toi, tu es méchant parce que tout passe toujours avant moi, pour toi !
— Oh la Drama Queen, tu as fini ? Va t’entraîner au lieu de me péter les oreilles, LA Dance Magic approche à grands pas et il ne faudrait pas que tu sois minable à cette compétition-là aussi. Tu vaux mieux que ça.
— M’en fous de la danse, j’en ai marre de tout. Je ne vaux rien… C’est Molly, maintenant, la reine, et moi, je… je…
— Ferme-la, un peu. Tu es bien meilleure qu’elle, quand tu veux.
— Aux yeux de tous, maintenant, je suis derrière Molly ! Je la déteste, je la déteste ! J’ai envie de quitter les Watcha Say pour leur montrer que je peux être meilleure qu’elle, sans eux !
— Eh bah fais-le.
— Sérieusement ? s’intrigue Erika devant la réaction de son frère. Tu penses que, si je postule dans une autre école, je serais prise ?
— Pourquoi pas ?
— Parce que je pensais aux Rolling Deep, s’exclame joyeusement Erika, ragaillardie. Mais c’est une école très réputée, tu n’imagines pas le niveau qu’il faut pour passer leur audition ! Je t’en avais parlé à l’époque !
— Tu as tout à gagner et rien à perdre en tentant ta chance.
— C’est sûr, mais…
— Bref, je dois te laisser, miss Gros Égo, j’ai du boulot ! Alors, bon vent et va postuler !
— D’accord, à demain ! s’exclame joyeusement l’adolescente.
Joakim conclut sa conversation et se relève du lit de sa petite amie pour s’asseoir devant son bureau afin d’utiliser son laptop.
Il doit effectuer une recherche et efface toutes traces de son passage dès qu’il a terminé…
Dix minutes plus tard et après un certain appel, il sort de la chambre pour se dégourdir les jambes.
— Le prince se déciderait enfin à quitter l’antre ? le nargue Maya dès qu’elle l’aperçoit entrer dans le salon. Viens t’asseoir !
Il obéit sans attendre et s’installe sur le canapé à ses côtés, devant la télévision qui diffuse sa série préférée — Desperate Housewives — dépité par ce visionnage, il dirige son regard vers le sol, sur le moelleux tapis à longs poils que ses petons déchaussés apprécient beaucoup.
— Au fait, qu’est-ce que tu penses d’Alex ? lui demande soudain son acolyte d’infortune.
Un sourire narquois accompagne sa question et cela ne plaît pas du tout à Joakim, car d’habitude, le maître du sarcasme, c’est lui.
— Comment ça ? répond-il alors, l’air détaché en apparence. Je ne m’intéresse pas aux hommes, j’aurais pensé que ça paraissait évident.
— Tu laisses ta belle sortir avec un charmant damoiseau qui en pince pour elle ? poursuit Maya, follement amusée.
Elle souhaite l’inquiéter et le redescendre de son trône.
— Je ne vois pas ce que je crains, soupire Joakim, indifférent.
— C’est dommage que tu ne le voies pas, alors ! Parce que Trisha s’est faite drôlement belle pour sortir, ce soir.
— Elle fait ce qu’elle veut, on n’est pas mariés, grince le jeune homme sur une pointe d’agacement.
— Oh, ne t’énerve pas, petit chou ! Je disais ça comme ça, car, bien entendu, un prince tel que toi n’a rien à craindre, voyons ! sourit Maya en s’enfonçant confortablement dans son canapé.
Elle reprend très vite en promenant son regard dans la pièce :
— Comment tu trouves notre appart ?
— Sympa.
— Mal élevé, va ! La réponse attendue est : Oh, madame, la déco de ce salon est juste incroyable ! Ah, ces hommes, il faut tout leur dire !
Joakim esquisse un rictus amusé. Elle n’a pas tort, car cet appartement luxueux qu’elle habite avec sa fille n’a rien à envier aux demeures de stars de Santa Monica ou Beverly Hills. « Lui posait-elle sa question pour réconforter un probable complexe d’infériorité ? » Elle qui ignore pourtant l’identité de sa mère dans le monde de la musique…
— Et ce tatouage de tigre, quelle est sa signification ? lui demande-t-elle ensuite, curieuse.
Il n’a aucune réponse glorieuse à lui offrir pour justifier ce que subissait son épaule gauche, il y a trois ans et après une fête d’anniversaire qui rassemblait tous les Drifterz. L’alcool avait coulé à flots ce soir-là et son paternel avait mis six mois à lui pardonner son manque de maturité.
— Pas très bavard, le p’tit père, rit son interlocutrice devant son mutisme.
Il en soupire d’irritation et se relève pour repartir s’allonger, quand elle reprend encore :
— Tu as l’air d’aller mieux, j’ai l’impression que tu as moins mal !
— Ça va, oui. Je rentrerais chez moi demain. Merci pour tout. souffle-t-il en revenant dans la chambre.
Il se recouche peu après, agacé de penser encore à sa petite amie. L’image de son comparse Alex s’impose sans cesse dans son esprit alors qu’il l’imagine échanger des baisers passionnés avec elle. Une visualisation qui l’ulcère et le dérange, puisque cela ne lui ressemble pas de se sentir aussi frustré pour une femme. Il hausse finalement les épaules et ferme les yeux pour s’endormir. « Il doit arrêter de songer à une idiote. Ils ne sont pas mariés et il se fiche de cette folle ! »