~ Prologue ~

Comment pourra-elle s’en remettre ? Le regard figé sur cette tombe qui emprisonne son cher et tendre, elle se demande de quoi seront faits ses lendemains. Son futur, voire même ses prochaines minutes. Que va-t-elle donc devenir ? Sans lui. Sans sa présence à ses côtés, le monde ne pourra être que fade pour cette jeune femme d’une vingtaine de printemps qui commence sa vie d’adulte seule plutôt qu’avec cet homme à ses côtés, celui qui était sa vie, sa raison d’être.

Oui tout n’avait pas été toujours rose entre eux, oui son âme sœur n’avait pas constamment été facile à supporter. Elle non plus, d’ailleurs ! Mais les deux avaient été liés. D’une force indescriptible, indestructible ; envers et contre tout. Pour le meilleur et pour le pire.

L’enterrement a été magnifique ; et très émouvant. Elle se le remémore. Ils avaient été tous là, amis, proches, famille du défunt ; la jeune femme ne les a cependant que peu regardés. Elle n’en avait pas eu besoin ; ils avaient tous la même expression peinte sur le visage. Celle qui disait tout bas “ce n’est pas possible, c’est un cauchemar” Parce que si tout le monde s’en doutait un peu, que le pire finirait par arriver, personne n’avait voulu le voir rappliquer, ce moment-là ; celui ou dans ces grands films, lorsque vous le voyez débarquer, vous commencez à bégayer en vous murmurant à vous-même, que cela ne va pas se produire, que cela est impossible, attendant désespérément l’apparition d’un Deus ex machina. Vous priez pour qu’il se produise, vous le suppliez d’accourir ; mais ici, dans cas là, il s’est porté absent.

« Perdre quelqu’un est terrible ! Mais le pire serait de ne l’avoir jamais rencontré. » [Marc Levy]

Cette citation n’est pas vraie. Ou si. Mais elle dirait presque à cette jeune femme qu’elle peut continuer sa vie désormais, que tout ira bien demain ! Mais comment ? En quoi le fait d’être brisé de la sorte pourrait-il avoir un impact positif sur son avenir ? En quoi le fait d’avoir rencontré sa vraie moitié, son âme sœur unique et authentique, pour la perdre ensuite à cause de la cruauté de la vie, pourrait-il être quelque chose de bénéfique au point qu’il ne faille rien regretter ? Il aurait mieux valu que la vie ne lui fasse jamais découvrir cette personne, oui ! Sans lui, elle aurait certes vécu une existence fade, banale, remplie de clichés soporifiques du monde adolescent, ratant la magnificence d’une telle relation, mais au moins, elle n’aurait pas connu l’extase avant de tomber dans les abysses de l’horreur.

Un flot de larmes dégringole le long de ses joues ; elle n’est encore une enfant au fond. Elle n’est pas préparée à un tel deuil. Tout ceci n’est qu’un mauvais rêve. Elle se réveillera demain et tout ira bien ! Ou pas. Car la vie toute entière n’est qu’un cauchemar, qu’elle songe en grinçant des dents. Elle ne vaut pas la peine d’être vécue, car tout ce qu’elle apporte de beau, elle revient le retirer ensuite dès que l’on y a prit goût.

« La vie est une pièce de théâtre : ce qui compte ce n’est pas qu’elle dure longtemps, mais qu’elle soit bien jouée. » [Sénèque]

Ah ça ! Il est certain que sa moitié l’avait interprétée à la perfection. Tellement bien que ceux qui y ont assisté ne peuvent accepter la fermeture du rideau. C’est impossible. Amis comme ennemis, ils le garderont longtemps dans leurs souvenirs, c’est certain. Il faut dire qu’il en a marqué, des vies, en deux ans à peine…

« Quand Dieu efface, c’est qu’il s’apprête à écrire. » [Jacques Bénigne Bossuet]

Cette citation-là est vraie. Tellement réaliste alors qu’elle illustre que dans quelques mois, un nouveau ballet débutera, il sera de nouveau interprété par ces deux-là, l’horreur et la beauté, qui rejoueront cette pièce, la désormais bien connue, celle qui alterne avec talent entre chaos et perfection, celle que l’on ne présente plus ; la Vie.

~ 001 ~

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~ Et puis les autres, les figurants… ~

Surnommée la « citée des anges », la ville de Los Angeles est située au sud de la Californie, dans la vallée de San Fernando. Très étirée, presque tentaculaire, elle se place juste derrière New York pour le titre de plus grande ville des États-Unis. L.A est mondialement connue pour son activité scientifique, culturelle, mais aussi pour son cinéma, ses quartiers chics ainsi que ses plages mythiques. L.A. demeure l’un des points d’entrée d’immigrants les plus importants aux États-Unis. Elle attire les populations grâce à son climat de rêve, son style de vie et l’opportunité d’y réaliser le rêve américain.

Los Angeles signifie « les anges » en espagnol. Ses habitants sont appelés « Angelenos » ou « Angelinos », ce qui signifie « les Angelins ».

La superficie de la ville étant importante, Los Angeles est divisée en plusieurs quartiers qui forment à eux-mêmes des villes indépendantes avec leurs propres mairies, polices… Parmi ces nombreux quartiers, (au nombre de 88 au total) on trouve Hollywood, célèbre pour ses studios de cinéma, et Beverly Hills ou de nombreuses célébrités sont venues résider.

Au sud de Los Angeles se trouvent d’autres quartiers et villes comme Venice, Santa Monica, Long Beach, San Pedro, Marina del Rey… Malibu.

C’est à Los Angeles, dans un quartier résidentiel de Santa Monica, que commence notre histoire.

— Tu ne rentreras pas trop tard du lycée, n’oublies pas que ta mère sera de retour en fin d’après-midi, informe Raphaël Bauer, ingénieur du son chez Universal Music, à son fils ainé qui arrive dans la salle de séjour par l’escalier menant au premier. À ce palier se trouve la chambre du couple Bauer ainsi que celle d’Alarich, l’un des cadets de la fratrie, mais aussi l’adolescent qui requiert le plus d’attention de la part de ses parents. Les deux autres pouvant être au second étage.

— Ouais, soupire Joakim avec nonchalance sans arrêter ses pas alors que son père est perdu dans ses pensées, songeant encore au moment où il retrouvera l’épouse qui lui a tant manqué.

Rêvassant, Raphaël ne réalise même pas que son fils de dix-sept ans, actuellement en dernière année de lycée, détale derrière lui. Le père de famille est toujours en train de penser au retour imminent de sa femme… En effet, sans sa moitié, son âme sœur, cet homme d’âge mûr est incomplet et vide.

C’est pour cette raison que la carrière de sa bien-aimée l’a toujours démoralisé au plus haut point, car il supporte très mal les séparations que celle-ci impose, même si ceux-ci ne sont généralement que de courte durée… « Deux mois, dans une existence, ce n’est rien ! » Tentait régulièrement de le rassurer la célèbre chanteuse Éva Lee. Mais pour Raphaël, deux mois, huit semaines, ce sont déjà trop de jours passés loin de sa femme… Ces absences répétées faisaient souffrir l’ancien guitariste/chanteur qui avait justement mis un terme à sa propre carrière pour éviter ces désagréments, qui n’étaient, selon lui, pas compatibles avec la vie de famille.

L’époux Bauer a toujours été un homme dévoué aux autres et surtout aux siens.

Ce côté «  trop bon, trop con », Joakim Bauer le connait bien. C’est l’un des traits de caractère que le lycéen exècre le plus chez lui. Promptement, l’adolescent se dirige vers le garage où se trouvent les voitures de ses parents ; en l’absence de sa mère, Joakim utilise le 4×4 de la concernée. C’est grâce à ce véhicule qu’il se rend au lycée, le Los Angeles Highschool, situé en plein cœur de L.A, en compagnie de sa cadette Erika. Une passionnée de danse comme on n’en fait plus et à qui il doit généralement lancer un « On bouge ! », pour la déloger de sa salle de gymnastique personnelle pour que celle-ci daigne enfin aller se préparer pour aller en cours. Joakim n’étant pas de nature patiente, il lui est souvent arrivé de filer seul en la laissant sur le carreau. Après tout, la station de métro la plus proche déverse à moins de deux cent mètres de leur lycée… Et il n’y a pas écrit « taxi » sur son front !

Pourtant, aujourd’hui, Joakim ne fera pas le « sale con » comme sa sœur lui soupire parfois, lorsqu’il la laisse en rade, parce que ce matin, il est étonnement de bonne humeur. En effet, sa mère revient cet après-midi de cette tournée musicale de deux mois à travers tout le pays et l’idée de la retrouver ravit le jeune homme qui a toujours entretenu d’importants liens affectifs avec celle qui l’a mis au monde. Les relations avec son père, quant à elle, sont plus délicates. Joakim a beaucoup de mal à se soumettre à son autorité, qu’il ne tolère pas, n’accepte pas. La vérité est que son père l’agace au plus haut point, ce qui en surprend plus d’un, lorsque l’on connaît le caractère agréable de Raphaël Bauer. L’homme a plus d’amis que de détracteurs, et il fait habituellement bon vivre à ses côtés. Les chiens ne font pas des chats, encore un proverbe bien mensonger, pourrait-on dire ! Ces deux hommes n’ayant pas grand-chose en commun, à première vue.

C’est d’un pas tranquille que Joakim pénètre dans la salle où s’entraine sa cadette pour la prévenir de leur départ imminent pour le lycée. L’expression de son visage est, pour une fois, sereine. Il a l’air apaisé. Il prend même du plaisir à observer les quelques pas de danse de sa brunette de sœur et n’est pas pressé de l’interrompre. La musique adoucit les mœurs… Et celle de son frère, le brun qui exécute la parfaite reproduction de Moonlight Sonata de Beethoven, sur laquelle Erika s’entraine, est un régal pour ses oreilles.

Malgré sa trisomie 21, Alarich Bauer est un véritable virtuose de la musique qui n’a jamais pris le moindre cours de piano.

De nombreuses angoisses et doutes avaient évidemment assailli le couple Bauer dès que ceux-ci avaient été mis en garde, par une échographie, de la présence d’un trisomique parmi les jumeaux que la chanteuse Éva Lee s’apprêtait à mettre au monde. La petite fille semblait normale, mais son frère présentait déjà des signes flagrants de la célèbre malformation. Ce danger n’avait cependant nullement effrayé le couple aventureux et fou amoureux. Ils aimeraient cet enfant comme il le mérite… Et c’est d’ailleurs ce qu’ils ont toujours fait. Fiers aujourd’hui d’avoir toujours traité leurs trois chérubins de la même manière. Leur Alarich est heureux, ils n’en ont jamais douté. Suivi depuis son plus jeune âge par deux orthophonistes, un kinésithérapeute et l’un des meilleurs pédiatres du pays, le jeune trisomique est assuré d’une vie aussi longue que la moyenne ; et presque normale.

— J’ai une prof absente, je commence à onze heures ! Informe Erika à son frère ainé dès qu’elle l’aperçoit, pour qu’il lui réponde un simple « OK » avant de tourner les talons en direction du garage. Alarich se relève de son piano à queue juste après, en s’exclamant, l’air heureux, en direction de sa sœur jumelle.

— On va manger gâteaux ?

— On va manger DES gâteaux ! corrige affectueusement celle-ci, — mais d’accord ! espèce de ventre sur pattes !

— Maman revenir bientôt. Un tendre sourire se dessine sur le visage du jeune trisomique.

— Tu as hâte, hein ! Allez, viens, répond Erika en se rapprochant de son frère pour le prendre par la main et l’emmener avec elle dans la cuisine où les deux vont avaler quelques cookies que leur cuisinière a du finir de préparer il y a moins d’un quart d’heure. Leur délicate odeur traîne déjà dans le couloir de l’entrée.

~ 002 ~

 

*

Pendant ce temps, dans un quartier différent, une mère observe, les yeux pleins de tendresse, le deuxième homme de sa vie se préparer à partir pour l’université.

Le cœur de Tiphanie Cobain se serre ce matin, comme à chaque fois qu’elle voit son ange s’éloigner de la maison.

Il faut dire que son Andréas ; et malgré le fait qu’il soit asthmatique ; aime pratiquer le breakdance avec ses meilleurs amis, alors que tout sport lui est formellement interdit, au vu de la gravité de son état.

« Je ne force pas, promis  », rassure toujours l’adolescent pour combler ses parents. Il ne fait que quelques figures simples dans l’unique but de suivre le mouvement de ses camarades, il ne fait vraiment rien d’épuisant et n’est jamais essoufflé ! Ils n’ont pas à s’inquiéter pour lui !

Il tente de persuader ainsi une mère trop angoissée et un père méfiant qui l’observe aussi, par la fenêtre du salon, alors qu’il grimpe sur son vélo pour filer vers ses cours.

Des parents surprotecteurs envers la prunelle de leurs yeux. En effet, le couple Cobain s’est dépêtré d’un passé douloureux et semé d’impitoyables embûches. Leur petit Andreas est la plus belle chose que la vie a su leur offrir. C’est pour cela que s’il arrivait quelque chose à leur trésor, ils ne s’en remettraient pas.

Il est un adolescent aventurier qui a lutté des mois entiers pour avoir le droit d’aller en cours en bicyclette ! Il ne voulait pas de scooter, son vélo lui suffisait. Faibles, ses paranoïaques de parents avaient finalement abdiqué, il y a peu, acceptant enfin le fait que le lycée de leur fils ne soit pas si loin que ça de leur logis et que la distance à parcourir ne serait pas un effort dangereux pour leur petit. Le combat d’Andréas pour obtenir cet aval aux allures de saint Graal fut malgré tout très rude, un comble quand on réalise la banalité de la demande. C’est ce qui agace le plus cet adolescent de dix-neuf ans qui déteste se sentir différent. Il l’est déjà assez comme ça physiquement ; mesurant un mètre 95, fin comme un spaghetti, il ne passe pas inaperçu en société.